Catherine Wilkening
Comédienne depuis l’adolescence, un jour, en 2002, la nécessité de mettre les mains dans la matière s’impose à moi, la terre me devient aussitôt vitale. Elle me « sauve » la vie.
Je me lance dans la sculpture avec un instinct primaire, animal, guidée par une impulsion profonde irrépréhensible. L’exploration est souterraine et organique, mon travail est physique, sensuel, jouissif. L’intellect ne rentre pas en jeu, pas de plan conceptuel, ce qui passe par la tête n’est déjà plus, juste le lâcher prise et faire corps avec la matière. C’est un saut dans le vide.
Je renifle la terre, je la malaxe, je mets les doigts dedans, je la caresse des heures, je la froisse, je la brise, je la griffe jusqu’à ce que la forme jaillisse… Dans les premières années, des têtes hurlantes, des visages de femmes ou d’enfants griffés comme pleurant, des corps déchirés, lacérés, des mains jointes dans la prière…
La terre est une matière vivante avec ses propres lois, qui réclame de l’attention, une écoute, elle est mon guide dans notre union – juste mes doigts, aucun outil entre elle et moi, un combat à mains nues, une bataille acharnée et sauvage, un duel d’amour qui s’affronte jusqu’à la confusion, l’oubli, ni dominant ni dominé, un jeu d’équilibre, je cherche la faille, je flirte avec le danger, j’explore le point de jonction, l’ultime point d’équilibre, l’instant où tout bascule, où l’accident jaillit, où la rencontre se produit, qui donne la vie, où la terre s’affirme et s’impose dans la création. Alors la sculpture naît.
2012, mon ventre n’accouchant que de monstres, l’envie d’accéder à davantage de douceur m’attire. Je me confronte alors au blanc, à la pureté, à l’extrême finesse de la porcelaine. Pour prendre forme, cette terre réclame beaucoup de patience et d’amour. Je l’explore en autodidacte, elle me devient aussitôt addictive. Je me plais à la détourner de son évidente délicatesse pour la gratter, la fissurer, l’écorcher, l’éclater, l’amener à vibrer autrement – sonder au delà des apparences.
Sollicitée pour exposer, j’attends une dizaine d’années avant de montrer mon travail. Je refuse le regard de quiconque sur mes guerrières, sur mes monstres, sur mes bébés que je chéris. Je revendique cet art comme mon expression libre, je le protège du jugement, de la critique aisée. Je prends le temps d’apprendre à me foutre du regard de l’autre. Il est mon luxe.
Mes sculptures se nourrissent depuis toujours de la figure féminine, avec pour thème obsessionnel : la naissance, le chaos, la mort – la renaissance – ou bien encore la dévoration, le cannibalisme. Elles me procurent la jouissance d’accoucher éternellement, à partir d’une sensation, d’un mot, d’une image qui m’obsède ou s’impose dans l’instant… Puisque la vie c’est l’impermanence, puisque nous ne cessons de naître, de n’être plus, de n’être pas encore…
Aujourd’hui, traversant ces longues périodes de confinement, dans un climat extérieur anxiogène, j’éprouve la nécessité de me connecter au lumineux, au spirituel, à l’élévation, au transcendantal, de travailler sur la répétition, le multiple, le fourmillement, l’infini, l’infiniment monumental dans l’infiniment minuscule, comme des mantras qui apaisent et endorment les agitations cérébrales, comme de larges respirations – de construire à partir du chaos, à partir de fragments de sculptures avortées ou à l’abandon, et leur donner un nouveau souffle de vie. De ces longs mois de gestation sont nées d’immenses madones immaculées de porcelaine, poudrées d’or, de verre de Murano, couronnées de fleurs, d’épines, de racines…
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